Balade historique

Cette balade a été rédigée par Florent Fresneau pour le compte de Marseille Rénovation Urbaine à partir des travaux du CIQ. Elle permet de retrouver l’histoire humaine cachée derrière six lieux emblématiques du quartier.

19 ème siècle – Le parc de la Jarre – les maraichers italiens

Te voici au parc de la jarre, aménagé sur un ancienne bastide. Assieds-toi devant l’orangerie qui a longtemps servi de hangar agricole aux maraîchers et imagine…  Nous sommes alors à la campagne. beaucoup de terres sont cultivées grâce au canal de Marseille qui passe à proximité (tu peux encore le voir en te baladant dans le parc). L’eau permet ainsi de faire pousser carottes, choux, tomates : c’est le maraîchage. 

Ce sont des travailleurs italiens, qui vont d’abord cultiver la terre. Et ce n’était pas gagné d’avance car ici la terre est pauvre et l’eau rare. Mais à force de travail, les maraîchers ont gagné leur pari: rendre la terre fertile. Pas un mètre de terrain n’était perdu. Même les enfants ont leur petit morceau de jardin pour cultiver les radis et avoir leur argent de poche. 

L’IMMIGRATION ITALIENNE

Au 19e siècle, Marseille s’industrialise et se développe. Le besoin d’une main d’œuvre va se faire de plus en plus pressant. On va alors favoriser la venue de travailleurs étrangers. De toutes les nations représentées à Marseille, c’est l’Italie, pays alors pauvre, qui va fournir le plus gros contingent d’immigrés. Bien avant les Espagnols, les Arméniens et les Maghrébins, les Italiens connurent ici toutes les vicissitudes de l’exil et de la xénophobie avant de s’intégrer à la population locale. On dit qu’aujourd’hui un Marseillais sur trois à des origines Italiennes.

LE CANAL DE MARSEILLE

Avant le canal de Mareille, l’eau se fait rare et les maladies comme le choléra prolifèrent. On prend alors la décision en 1834 d’acheminer l’eau de la rivière Durance, située à 40 km à vol d’oiseau, dans la ville, en construisant un canal. Débuté en 1839, celui-ci est achevé après 15ans de travaux difficiles en 1854. Il mesure 80km de long et possède de nombreux ouvrages d’art dont 18 ponts.

Avec l’arrivée de l’eau à Marseille, les terres agricoles se développent et les productions changent. Certaines cultures sèches comme les vignes sont rapidement remplacées par des cultures maraîchères et des prairies.

Je viens de Naples. Le travail de maraîcher est dur. On n’utilise que l’arrosoir pour ne rien perdre de l’eau ! – Guiseppe, maraîcher italien –


1946 – Le hameau de la pinède – Colgate : du camp de transit au bidonville

Entre dans le hameau et installe-toi sur la petite place. les ruelles et petites maisons construites il y a une quarantaine d’années et rénovées il y a peu, donnent à l’ensemble un petit air de campagne… 

Imagine-toi, nous sommes à la fin de la 2e guerre mondiale.
La guerre a déplacé des millions de personnes dans toute l’Europe.  A Marseille se croisent des soldats, des travailleurs étrangers, notamment indochinois, des familles qui ont fui leurs maisons.  Toutes ces personnes cherchent à rentrer chez eux à pied, en bateau, en train… bref c’est le bazar !  En attendant leur départ il y a besoin de les accueillir quelque part. On décide alors de construire un camp où l’on pourra les loger. On choisit un terrain tout au sud de la ville. Ca sera la Cayolle. 

COLGATE, UN CAMP DE TRANSIT

Ici, une douzaine de bâtiments vont être construits et accueillir d’abord entre 1946 et 1950 des paysans Indochinois qui ont principalement été utilisés pendant la guerre pour des travaux agricoles, la culture du riz et l’exploitation du sel en Camargue. Puis en 1951 ce sont les délogés de Marseille qui investissent le camps, c’est-à-dire les familles qui ont perdu leur logement suite à la guerre. Dans les années 1960, il y a besoin d’une main d’œuvre nombreuse pour reconstruire le pays. Un nombre important de travailleurs immigrés, notamment Maghrébins vont alors venir s’installer à Marseille. Mais rien n’est prévu pour les accueillir. Ils vont alors investir et transformer les anciens bâtiments du camps Colgate. Jusqu’à 100 familles et 1000 habitants vont venir vivre dans ce qui deviendra rapidement un bidonville

LES CONDITIONS DE VIE

Les bâtiments construits pour accueillir les populations sont précaires. Il n’y a aucune intimité, les familles sont plus ou moins entassées avec des lits de camp et chaque famille essaie de s’isoler en tendant des cordes avec des couvertures. Dans les baraques, il n’y a ni eau courante, ni toilettes. On va chercher l’eau au puit du camp. L’hiver, les bâtiments mal isolés et chauffés par des poêles à charbon, laissent pénétrer le froid et l’humidité. L’été, la chaleur y est insupportable. À l’intérieur, il n’est pas rare de voir des familles nombreuses avec 10 enfant

Mon pays c’est l’Indochine. un jour on m’a fait venir en France pour travailler. C’était la guerre et je n’ai pas vraiment eu le choix. C’est dur ! – Binh Minh, travailleur indochinois –


1946 – Centre commercial – Le camp du Grand Arénas

Tu es maintenant sur l’allée des calanques. Une voie piétonne et cyclable qui relie la Soude à la Cayolle. Choisis un des nombreux bancs et installe toi en regardant autour de toi…  Ici avant il y avait le camp du grand Arenas. Construit en même temps que le camps Colgate, il est cependant beaucoup plus grand. Sur un immense terrain sont alignés d’étranges bâtiments en forme de demi-tonneau. Du côté centre commercial c’était l’enclave juive, de l’autre côté c’était les tonneaux accueillant des immigrés d’Afrique du nord. 

Après la guerre, le camp va d’abord accueillir des travailleurs indochinois qui veulent rentrer dans leur pays (aujourd’hui le Vietnam).  Puis arrivent de nombreux juifs d’Afrique du nord en partance vers israël. Le camp accueille jusqu’à 6200 personnes en 1956. 

FERNAND POUILLON ET SES DRÔLES DE TONNEAUX 

Les tonneaux sont les premières constructions du site. Ils doivent leur nom à leur forme particulière, évoquant un demi-tonneau posé sur sa base. Ils sont dus au célèbre architecte Fernand Pouillon (accompagné de René Egger) qui les conçut uniquement comme des abris provisoires pour abriter les populations en transit.  Il utilise pour cela un stock de bouteilles dites «fusées céramiques», en terre cuite récupérées auprès de l’armée et qui formera la structure des bâtiments. 

POURQUOI LES JUIFS DU MAGHREB PARTENT VERS ISRAËL ? 

La seconde Guerre Mondiale et ses atrocités, puis l’indépendance des pays arabes et enfin la guerre Israélo-Arabe vont inciter 800 000 juifs du Maghreb à quitter leurs pays pour rejoindre Ie nouvel état d’Israël.  Pour aider à gérer les départs, l’agence Juive crée des camps comme celui du grand Arenas. On y applique les formalités administratives et les visites médicales.  Le séjour peut durer quelques jours ou plusieurs mois. 

« On a tout quitté chez nous au Maroc… maintenant on va vers Israël mais en attendant la vie est dure ici… »  – Soltana, Immigrée Juive –


1953 – La maison de quartier – Les Ilots : une cité de relogement

Continue à marcher sur l’allée des calanques et arrête-toi face à la maison de quartier. L’histoire continue…Tu te trouves maintenant au cœur de ce qui était appelé les îlots.  En 1953, on décide de construire de nouveaux bâtiments pour accueillir notamment les marseillais qui ont perdu leur logement pendant la guerre.  Ce n’est pas encore le grand luxe mais on y vit mieux que dans les tonneaux voisins.
Les murs sont en béton et il y a même l’eau et l’électricité. Figure-toi qu’on y trouve dans chaque logement, deux chambres, des wc et une salle de bain.  Mais entre les habitants du camp des juifs et ceux des îlots on ne se parle pas beaucoup et des barbelés séparent même les deux ensembles. 

LA SOLIDARITÉ 

Si les conditions de vies sont dures, les témoignages font écho d’une solidarité importante et une convivialité interculturelle, notamment au moment des fêtes qui rendaient moins dur un quotidien pourtant très précaire.  « À l’époque, on ne cuisinait pas dans la maison, mais dehors, alors quand une maman commençait à faire des poivrons, la voisine ramenait ce qui lui restait, et avec l’odeur tout le monde venait…»  Extrait “Au creux de la colline la Cayolle contée, la Cayolle racontée”  « Quand il y avait les fêtes, que ce soit Noël ou l’Aïd, c’était pour tout le monde »  Marcou 

DES MAISONS AUX BARAQUES 

La cité va ensuite accueillir des travailleurs Maghrébins, puis les derniers habitants des tonneaux avant qu’ils ne soient détruits.  En 1970 les maisons sont devenues des taudis où 90 familles vivent dans des conditions d’insalubrité. Les «p’tites villas fleuries» sont devenues des baraques où l’on pallie l’insuffisance de place et de confort par des ajouts et des modifications faites avec les moyens du bord.  Le 9 janvier 1977, pour faire parler de leurs conditions de vie, les habitants créent une journée portes ouvertes dans leur quartier.  La cité sera finalement détruite en en 1980. 

« Nous on a tout perdu avec la guerre. ça a été dur. Mais quand on est arrivés ici, la plupart des maisons ressemblaient à des petites villas toujours fleuries»  – Suzanne, relogée marseillaise – 


1966 – Le jardin – La cité provisoire : la Cayolle ou Chicago

Tu te rapproches maintenant des collines. Assied-toi dos au square et regarde vers les collines. la nature a repris ses droits mais il n’y a pas si longtemps se dressait encore un quartier nommé Chicago. 

Chicago ?
Mais pas aux états-unis !
C’est le surnom donné à cette cité construite en 1966 pour reloger les habitants des tonneaux du grand Arenas.
Pour les habitants relogés c’est une vraie promotion, car ils bénéficient d’une cuisine et de sanitaires. Mais les bâtiments en tôle sont de mauvaise qualité et vieillissent mal.
La cité sera finalement démolie en 1980 pour laisser place à des construction en dur. «Chicago, c’est l’ancien nom que les habitants donnaient à la cité provisoire de la cayolle, mais pas son nom officiel. personne ne sait vraiment d’où il vient.» Marcou 

L’ÉCOLE 

L’école, construite un peu plus bas, a joué un rôle important dans la vie des habitants.
Seul service public du quartier, les familles prennent l’école très au sérieux et ont beaucoup d’attentes.  Les témoignages d’habitants dressent un portrait d’une école de la mixité où les différences d’origines sont oubliées et d’institutrices dévouées investies dans la vie du quartier. 

«J’étais institutrice à l’école de la Cayolle et les élèves me respectaient. Les jeudis, quand il n’y avait pas classe, ils venaient chez moi voir mes poules et les arbres du jardin et comme ça ils apprenaient les saisons. »  Christiane Nardini 

«Je viens de Constantine en Algérie. La Cayolle c’est le bout du monde, pour aller travailler je prends un premier bus jusqu’à Mazargues puis le tramway jusqu’à l’usine de tuiles de l’Estaque. C’est long mais on ne se plaint pas»  – Saïd, Travailleur Maghrébin – 


1973 – La mosquée – La cité Mandarine dernière cité provisoire

Pour aller à la mosquée, traverse le hameau des rochers jusqu’au parking. un peu plus haut dans la colline se dressait une cité surnommée Mandarine.

CITE MANDARINE

A l’époque on termine de détruire les derniers tonneaux du grand Arenas. Alors pour reloger les habitants on construit cette nouvelle cité qui doit son nom à la couleur orangée de ses façades.  Mais la durée de vie de la cité mandarine fut très courte et une dizaine d’années après son édification, les bâtiments, d’ailleurs très rudimentaires, furent démolis. 

UN RAPPORT À LA NATURE PARTICULIER 

Le quartier de la Cayolle s’est bâti au pied des Calanques. Pour les habitants des camps puis des cités provisoires, relégués tout au bout de la ville, les collines toutes proches ont été un terrain de liberté particulièrement salutaire et une des raisons, encore aujourd’hui, de leur attachement à ce quartier. Les témoignages montrent un rapport et un imaginaire singulier aux collines.  « Apres l’école, j’allais chercher mes copines Anne-Marie et Kaina pour aller jouer aux cabanes dans la colline. Quand c’était l’heure d’aller manger, on prenait une assiette et on l’emmenait dans notre cabane. ». « Calanque ? C’est un mot moderne, nous on disait la colline.»  Extrait “Au creux de la colline la Cayolle contée, la Cayolle racontée 

LA MARCHE DES BEURS 

La cité Mandarine fut le lieu d’un drame qui a particulièrement marqué les Cayollais : début 1983, un garçon de 11 ans y meurt dans l’explosion d’une bombe.  Les habitants de la Cayolle ont manifesté sur la Canetière. Cela a mis le quartier sur le devant de la scène. Il fut alors choisi comme point de départ de la marche pour l’égalité et contre le racisme, dite « marche des beurs », en 1983, organisée par des associations de la cité des Minguettes à proximité de Lyon. 

Le départ s’est fait au niveau du rond point de l’actuel Leclerc.  La marche s’achève à Paris le 3 décembre, après 50 villes traversées en un mois et demi, par un défilé réunissant plus de 100 000 personnes.  SOS Racisme fut créé suite à cette marche. 

« On était pas beaucoup au départ de la Cayolle, mais il fallait faire quelque chose, on ne pouvait plus vivre comme ça sans avenir »  – Karim, Jeune Manifestant –